Entreprise : "parler vrai" ou parler vraiment ?
Certaines entreprises pratiquent un langage flou qui travestit la réalité du management et du fonctionnement. Le détecter et le comprendre est le début de la guérison.
Depuis hier, c’est officiellement le printemps. Chic alors.
Bienvenue dans cette nouvelle Newsletter de Zevillage. Je suis Xavier de Mazenod. Je vous envoie chaque jeudi, dans votre boîte mail, des idées et des trouvailles pour comprendre ce que nous réserve le futur du travail et pour vous aider à travailler mieux et vivre mieux.
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Il y a deux ans, j’avais consacré une newsletter au jargon en entreprise, un langage utilisé pour renforcer l’entre-soi et donc exclure.
Un billet très intéressant de la fondation Jean-Jaurès, écrit par Muriel Bellivier et Sarah Proust, qui milite pour repenser le langage du travail, me permet de revenir sur ce sujet de la langue comme outil de pouvoir.
Le politologue François-Bernard Huyghe, que je citais dans cette newsletter sur le jargon, faisait la distinction entre trois familles de “langues de pouvoir” destinées à manipuler les interlocuteurs :
les jargons qui sont des langues spécifiques à des catégories sociales ou professionnelles. Ils permettent de se comprendre à l’intérieur d’un cercle et d’exclure les non-initiés
la novlangue de Big Brother dans le roman 1984 de George Orwell qui se réfère à la “sovietlangue”, ou langue de bois soviétique, “outil historique d’une logocratie : une parole officielle formalisée et dont la répétition obligatoire s’impose à tous”
la langue de coton (à laquelle François-Bernard avait consacré un livre en 1991) consensuelle, peu discriminante, “si floue qu’il n’est plus possible de dire le contraire”.
“ En résumé, explique-t-il, les jargons jouent sur le ressort de l’incompréhension (sens ésotérique), les novlangues et sovietlangues sur l’interdiction et la prescription (sens obligatoire) et la langue de coton par exclusion de la critique (vidée de sens)”.
C’est à cette dernière famille de la langue de coton que se rattache le langage dénoncé dans le billet de la fondation Jean-Jaurès. Un langage creux qui empêche de “penser le travail” expliquent les deux auteures :
“ Intelligence collective, communication relationnelle/non-violente/assertive, mode agile, mode projet, expérience travail, facilitation, manager inspirant, management motivationnel, innovation games, benchmark, wording, storytelling, chief happiness officer, office manager, résilience (à toutes les sauces), team-building, smart, challenger, feedback, reporting, REX, workshop, collaboratif, etc. : néologismes, anglicismes, euphémismes, mésusages, choix d’un registre lexical harmonieux et positif, la langue du travail se transforme et son sens s’en appauvrit.”
Mais, pourquoi le langage du travail s’est-il ainsi vidé de sens ?
Si c’est flou, y’a un loup
Les auteures avancent trois hypothèses. La première est que dans le contexte des années 1990-2000 de souffrance au travail, les mots creux visaient à transformer les perceptions pour fabriquer un univers de bien-être individuel. Il fallait “réenchanter le travail” expliquent-elles.
La deuxième hypothèse est que les années 2000 ont symboliquement marqué l’avènement d’un monde nouveau. Dans cette hypothèse, les mots creux auraient eu pour fonction d’anticiper ce nouveau monde. À nouveau monde, novlangue.
La troisième hypothèse est que les nouveaux managers ont le titre de chef sans en avoir les attributs. Ils utilisent donc une langue qui atténue l’idée de subordination. Les managers ne décident plus de manière autoritaire. Le nouveau vocabulaire évoque donc le collectif : ” Tout doit être co-construit, co-décidé, co-managé, co-élaboré”.
Comment en finir avec cette langue de coton ? Pour Muriel Bellivier et Sarah Proust, il est indispensable de “parler du travail avec des mots qui ont un sens, qui recouvrent des réalités, qui permettent de se comprendre”. Et notamment en ce qui concerne trois notions : le management, la structuration et la participation.
Cela passe par une redéfinition du rôle du manager dont la fonction nécessite des compétences particulières. Ensuite, cela suppose de clarifier la distinction entre la structuration et l’organisation d’une équipe. Sortir du flou et de l’ambiguïté : “Nommer ceux qui ont un pouvoir de décision réelle et ne pas habilement mélanger liens hiérarchiques et fonctionnels”.
Enfin, la notion de participation doit être éclaircie : “« Participatif » ne devrait plus être accolé à « management », mais à un objet de travail ”.
En attendant le succès de ce chantier de clarification, je vous propose un petit exercice pédagogique pour apprendre à identifier ces langages de domination. Il y a quelques années j’avais créé un Bingo de la langue de bois en entreprise pour jouer pendant les réunions interminables : un bâton par mot ou expression louche.
Si vous gagnez, évitez de crier “bingo” pendant les visios.
Pour creuser le sujet
🟥 Voir l’article de la fondation Jean-Jaurès, Pour réhabiliter le travail, commençons par (re)penser son langage
🟥 Le site web - très riche - de François-Bernard Huyghe a disparu après son décès en 2022, mais on peut trouver son article Novlangue, langue de coton et autres langues de censure écrit pour la revue Constructif.
Sondage
Décidément, la semaine dernière était celle des plébiscites. Voilà les résutats de notre sondage :
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😱 Le bureau, tu l’aimes ou tu le quittes
Le 100 % distanciel n’est plus apprécié chez le fabricant informatique Dell. Les employés devront se rendre au bureau, ou être mis au placard : rester en télétravail c’est s’asseoir sur les promotions.
👿 Grrrrrr
Les aspects positifs de la gentillesse installent une ambiance dans l’entreprise mettant en valeur le respect, l’effort et la réussite. Mais faut-il vraiment être gentil au travail ?
🏃♂️ Courage fuyons !
Lors d’un entretien d’embauche, certains signaux, ou "red flags", laissent augurer des pratiques managériales douteuses. Cela peut cacher de mauvaises surprises…
😳 Finalement, l’IA aura-t-elle la peau de mon boulot ?
Un rapport de la commission de l’intelligence artificielle remis au gouvernement le 14 mars 2024 est analysé en détail. Spoiler : un impact de l’IA entre catastrophisme et minimisation.
😎 Cooooool !
Un groupe de travailleurs a été suivi par des chercheurs avant et après la révolution qu'a entraîné la pandémie dans les entreprises du tertiaire. Pas de doute, la démocratisation du télétravail nous rend plus heureux.
🐄 Va donc, hé paysan !
Petite histoire du mot “paysan”, tour à tour méprisant et valorisant. Entre préjugés utilitaristes ou paternalistes, des noms qui en disent long sur la vision de la société: paysan, cultivateur ou exploitant agricole , chef d’entreprise ou cul-terreux ?
🤣 Putaclic
”Cinq emplois à distance très bien rémunérés qui pourront vous rapporter plus de 200 000 euros en 2024 !” Si même Forbes se met au racolage, où va-t-on !
Villes en mouvement
Ce comparateur de mobilité en ligne vous permet d’évaluer vos mobilités actives (marche, vélo…), l’usage des transports en commun, et celui de la voiture.? Il vous indique ensuite les villes dans lesquelles les gens se rendent au travail comme vous. Une comparaison qui s’appuie sur les données de partage du modèle pour 794 villes dans plus de 61 pays.
Vite dit
En France, on s’engueule à tout propos, même à cause des haies 🌀 C’est quoi la “merdification du Web” ? 🌀 En finir avec les préjugés injustifiés sur le coworking 🌀 Les enfants crient, c’est normal, non ?
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