Les transformations silencieuses du travail
Notre invité, Martin Richer, co-auteur d'un rapport sur le travail hybride pour Terra Nova, nous explique en quoi le Futur du Travail connaît une transformation silencieuse presque inaperçue.
Bonjour et bienvenue. Je suis Xavier de Mazenod. Je vous envoie chaque jeudi, dans votre boîte mail, des idées et des informations pour transformer le travail.
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L’invité de la semaine
Cette semaine, dans notre rubrique “invité”, je reçois Martin Richer, consultant, directeur de l'Executive master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po et responsable du pôle Entreprises Travail & Emploi et administrateur du think tank Terra Nova.
Comme tous les invités de cette série, Martin répond à notre question: "Quel est, selon vous, le changement le plus important en cours dans le monde du travail, celui qui a le plus de conséquences?"
Quel est le changement le plus important en cours dans le monde du travail, celui qui a le plus de conséquences ? Pour répondre à cette question, on ne peut faire l’économie d’un petit détour par la théorie. Rassurez-vous, je ne vous veux aucun mal : cela ne durera que l’espace d’une quinzaine de lignes.
Mon auteur préféré sur le thème du changement est François Jullien. Il est philosophe mais aussi sinologue. Il compare la culture occidentale, marquée par le changement comme rupture, avec la culture chinoise, plus sensible aux changements continus, silencieux, souterrains, invisibles, ininterrompus, par exemple le réchauffement climatique ou le vieillissement de la population. Ces “ transformations silencieuses “, pour reprendre son terme (et aussi le titre de l’un de ses livres) passent inaperçues pour nous, car elles sont lentes mais surtout uniformes : rien ne se démarque, donc rien ne se remarque. Il les oppose aux “ affleurements sonores “, qui au contraire sont des changements visibles et souvent violents (n’y voyez, bien sûr, aucune allusion à notre actualité sociale).
La littérature sur les mutations du travail (“ Future of Work “) est bondée d’affleurements sonores. Je voudrais, pour ma part, vous parler d’une transformation silencieuse.
Je me réfère pour cela à deux philosophes du travail, Simone Weil (La condition ouvrière, 1951) et Hannah Arendt (Condition de l’homme moderne, 1958, Chapitre III : Le travail), dont les vues se complètent, pour construire un modèle très simple que j’appelle “ Le triangle du travail “. Il permet de mettre en évidence les trois fonctions du travail, à la fois :
un moyen de gagner sa vie (rapport instrumental, abrégé en RI),
une manière de faire société, de s’insérer dans le collectif (rapport social, RS) et
une façon de se réaliser soi-même, de participer à la création d’une oeuvre (rapport expressif, RE).
Ce que l’on appelle improprement la “ valeur travail “ (alors que le travail est une activité, mais pas une valeur) est en fait la synthèse que chacun d’entre nous opère entre les trois côtés de ce triangle.
Cette synthèse est personnelle mais aussi éminemment culturelle. Par exemple, la culture anglo-saxonne est très axée sur RI, la culture japonaise sur RS, etc. En France, nous avons la caractéristique de valoriser considérablement RS et RE.
Tous les affleurements sonores qui font le vacarme d’aujourd’hui, le “ Big Quit “, les difficultés de recrutement, le soi-disant affaissement de la “ valeur travail “, ne font qu’exprimer la remontée à la surface d’une transformation silencieuse : le triangle français est en train de pivoter lentement pour se rapprocher du triangle anglo-saxon.
Les salariés et les indépendants (les jeunes, certes, mais aussi les moins jeunes) ne veulent plus “ perdre leur vie à la gagner “ et sacrifier au travail leur vie familiale, amicale, citoyenne. Ils ne veulent plus ignorer les impacts de leur activité sur les grands problèmes du monde, environnement, inégalités sociales, précarité, santé, etc. Ils sont plus exigeants vis-à-vis de leur environnement de travail, de l’équilibre vie professionnelle - vie personnelle, de la qualité des relations à leur manager, à la hiérarchie et à leurs collègues. Ils sont à la recherche de nouveaux équilibres entre les trois côtés du triangle, plus harmonieux, plus respectueux du bien être individuel et social.
Il serait hasardeux de s’en plaindre. Il faut juste s’y adapter.
🟥 Vous pouvez retrouver Martin sur son compte Linkedin et sur le site de son entreprise, Management & RSE.
Martin Richer a présidé le groupe de travail du think tank Terra Nova qui a publié en octobre 2022 le rapport : Comment les nouvelles organisations du travail transforment l’entreprise : pour un travail hybride socialement responsable.
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Vite dit
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Voutch ne fait pas de vidéos : il dessine, et peint chaque dessin. Il observe le monde en général, et celui du travail en particulier, avec un oeil pointu et un humour un poil décalé. Vous retrouverez ses dessins sur son compte Instagram (même si vous n’avez pas de compte) ou dans ses albums.
C’est fini pour cette semaine. Vous pouvez retourner jouer aux boules ou finir votre Power Point pour la réunion de 9h.
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C'est vrai que cette expression de "gagner sa vie" n'est pas très engageante. Mais plus encore "perdre sa vie à la gagner" ! ;-)
Bonjour,
Je voudrais juste exprimer un agacement sur le terme "gagner sa vie". On a la chance d'être en vie, et de pouvoir, si on le désire, gagner de l'argent grâce à une activité professionnelle ou personnelle. On ne gagne donc pas sa vie !
Mais je le rejoins sur l'approche plus subtile de l'énergétique chinoise pour avancer dans le temps en fonction des énergies du moment. (je suis praticienne en BaZi).
Cordialement