La retraite, c'est quand on veut, comme on veut
Notre système de retraites est à l'image de l'organisation rigide du travail. Et si, pour le réformer, on lui appliquait la flexibilité et la liberté qui secouent les entreprises depuis la Covid-19 ?
Bonjour et bienvenue. Je vous envoie chaque jeudi, dans votre boîte mail, des idées et des informations pour transformer le travail.
Pour vous, je trie, je synthétise, je décrypte, j’analyse. Pour vous informer sans vous faire subir le trop plein d’actualité et de bruit.
Pour vous abonner à la newsletter, c’est par ici.
Pour rejoindre la communauté sur Discord, c’est par là.
Difficile de parler de travail dans chaque livraison de cette newsletter sans parler (un peu) des retraites et du projet de réforme qui agite le pays.
Nous avons choisi un système par répartition dans lequel les actifs financent les pensions des retraités. Mais ce dispositif est très réglementé et très compliqué. Il doit être réformé en permanence : plus de dix fois en trente ans.
Ce système monopolistique semi-étatisé (l’État finance les déficits) s’applique à tous, sauf aux fonctionnaires qui bénéficient d’un autre système. La retraite actuelle a été instaurée par le régime de Vichy et l’idée a été reprise à la fin de la guerre, en 1945, lors de la création de la Sécurité sociale.
Très logiquement, le concept de retraite comme repos bien mérité après une vie de travail est le miroir de la vision du travail. L’organisation statique du travail (unité de temps, unité d’action et unité de lieu, comme dans le théâtre classique) est bouleversée depuis la Covid. En réalité, depuis beaucoup plus longtemps : le feu couvait sous la cendre.
La réforme des retraites (version 2023, comme les précédentes) est le résultat de cette vision figée du travail.
L’histoire sociale des “luttes syndicales” et de la gauche politique depuis le XIXe siècle, a consisté à diminuer le temps de travail, à augmenter les congés payés et à assurer un temps de repos après une dure vie de labeur. On a sorti les enfants des mines, on a permis, en 1936, aux ouvriers de partir aux Sables d’Olonne pour une semaine de vacances à la mer. On a instauré une retraite dès le début du XIXe siècle, on l’a généralisée après la Seconde Guerre mondiale. Pour mieux comprendre, je vous recommande l’article de Wikipedia sur l’histoire des retraites qui vous donnera une idée de la complexité du sujet.
Ces évolutions représentaient un progrès et on peut s’en réjouir. Mais elles étaient le miroir du travail encadré dont je parlais plus haut. Et le sujet des retraites est devenu binaire et politisé, comme toujours en France : le clan du progrès à gauche, défenseur du toujours plus, et le clan de l’efficacité à droite.
Penser hors du cadre
Que la réforme passe ou non, le système par répartition va mal supporter la baisse du ratio actifs/retraités. Les réformes successives et les contre-projets des oppositions politiques n’ont pas beaucoup de paramètres sur lesquels jouer pour équilibrer les comptes : recul de l’âge de la retraite, augmentation de la durée de cotisation, hausses des cotisation, baisse des pensions, financement par l’impôt (avec ou sans taxation des milliardaires…), amélioration de l’emploi de seniors.
Le résultat de ces réformes et projets de réformes, est, autre spécialité française, une usine à gaz peu compréhensible et les acteurs adoptent des postures claniques qui bloquent la situation.
Si l’on réfléchissait donc au problème d’une autre manière ?
La Covid nous a montré qu’il était possible d’en finir avec le métro-boulot-dodo et de mieux équilibrer sa vie privée et sa vie professionnelle. Certains ont envie de travailler moins, ou différemment. Et l’on a vu que c’était possible : explosion du travail hybride voire du télétravail à 100%, liberté de vivre loin de son lieu de travail, semaines de quatre jours et même, congés illimités !
Une aspiration à une vie en dehors du travail que l’on a vue dans les manifestations de cette semaine avec les slogans “Métro-boulot-tombeau” ou “Métro-boulot-caveau”. Et avec des témoignages de jeunes manifestantes s’opposant au dogme de la répartition et de la solidarité inter-générationnelle : “Nous on ne veut pas cotiser pour les vieux” !
Sans compter que le système de retraite actuel est un véritable gâchis de compétences. De plus, pour certains métiers, la retraite est un non sens. Et je parle bien de travail choisi. Imagine-t-on un philosophe, un compositeur ou un réalisateur de films s’arrêter à 62 ans ? Il n’y a que le personnel politique pour s’affranchir de cet âge limite ;-)
Ne pourrait-on pas penser hors du cadre de travail hérité du XIXe siècle ? Je suis convaincu que pour éviter la faillite du dispositif tout en préservant le droit à une retraite choisie pour ceux qui le souhaitent et une continuité d’activité pour les autres, il n’y a pas d’autre solution que la liberté de choix.
Pour le dire autrement, inversons le problème : la retraite on devrait la prendre tout au long de la vie.
J’avais un ami, graphiste, illustrateur de talent et, en plus, aidant familial. Souvent, il soupirait, à moitié ironiquement : “Vivement la retraite”. Il travaillait beaucoup et voyait cet horizon comme une délivrance. Il aurait enfin du temps libre pour tous ses projets.
Il est mort jeune et il n’a jamais profité de sa retraite. S’il avait pu s’organiser avec plus de liberté, il aurait profité de plus de temps libre.
Je ne suis pas très optimiste sur une évolution dans ce sens tant les syndicats salariés et patronaux ainsi que les politiques ont les pieds tanqués dans leurs postures.
La liberté à un coût. Certains voient dans le salaire universel, ou revenu de base, un moyen de financer le libre choix d’activité, marchande ou non. Parce que, finalement, la retraite aujourd’hui, c’est quoi : du temps libre sans préoccupation de revenu.
Les faits finiront bien par imposer cette liberté. Comme la Covid l’a fait pour le télétravail ou la semaine de quatre jours.
Aller plus loin
Réforme des retraites : la peur du travail sans fin - France culture. Débat avec Philippe d'Iribarne sociologue, CNRS, et Marie-Anne Dujarier sociologue du travail.
“Je t’aime, moi non plus” : les ambivalences du nouveau rapport au travail - Fondation Jean-Jaurès, 23 janvier 2023
➡️ Pour nous aider à faire connaître la newsletter de Zevillage, partagez-la avec des amis ou avec votre boss, sur Linkedin par exemple.
😰 Concentrés
Avant les smartphones et les réseaux sociaux, les moines du Moyen Âge cherchaient déjà comment rester concentrés dans leur travail.
👍 Travail hybride, c’est dans la poche
Martin Richer publie sur son site une synthèse du rapport qu’il vient de publier pour Terra Nova avec Aurélia Andreu et Paul Montjotin. Il pose les sept caractéristiques de l’environnement de travail de demain, qu’ils nomment le Travail hybride socialement responsable.
👿 Management totalitaire
Merci à Marie-Pierre qui signale dans le Discord de Zevillage cet interview de l’auteure du Management totalitaire qui dénonce la “culture de l’instabilité” en entreprise.
🕺🏻 Brûlez votre baby-foot
Team building et baby-foot : quand le recours au jeu se retourne contre les salariés. Le sociologue Stéphane Le Lay décline les motifs à l’origine de cette nouvelle injonction à la ludification du travail.
🔥 Brûlez aussi vos idoles
Pourquoi il faut arrêter de célébrer le génie d'Elon Musk et de Steve Jobs. Dans Le Mythe de l'entrepreneur, Anthony Galluzzo démontre en quoi toute la mythologie autour des entrepreneurs stars est fallacieuse.
😮 Si vous avez loupé un épisode
Intéressante analyse du phénomène de la Grande Démission, du Quiet Quitting et et d’Act Your Wage. Pour résumer, un problème plus organisationnel que générationnel ou psychologique. Amis managers et dirigeants, vous êtes prévenus.
🥂 Cool le travail hybride
Une étude montre que le recours massif au télétravail modifie les relations sociales dans l’entreprise (on s’en doutait un peu). À 67 %, les répondants estiment que leurs relations avec leurs collègues se sont améliorées. Loin des yeux, près du cœur.
Un regard sur les nouveaux modes de management
Cette critique du livre de Suzy Cannivec, Les Nouveaux Modes de management et d’organisation. Innovation ou effet de mode ? (Presses des Mines, novembre 2022), se penche sur ce mouvement débuté dans les années 60 au Japon et dans les pays scandinaves. Elle analyse également la 2e génération de cette tendance réapparue dans les années 90.
Dans son ouvrage, l’auteure tente de mieux comprendre les contextes qui ont favorisé l’émergence de ce mouvement, et essaye d’évaluer sa pérennité. Elle résume les points communs de la démarche de ces entreprises (Lippi, Ticket for Change, Spotify ou encore Mobil Wood) :
“ Ces organisations partagent la volonté de reconfigurer leurs structures, généralement sous la forme d’un ensemble de petites entités autonomes animées par un dialogue collectif. Les fonctions support sont allégées ou reprises au sein de ces entités. Les managers y cèdent une partie de leur pouvoir pour évoluer vers une fonction de facilitateurs. Une attention particulière est portée à l’autonomie des équipes, favorisée par la décentralisation de la prise de décision. Du point de vue des ressources humaines et du recrutement, la compatibilité des candidats au projet global de l’entreprise prime sur la compétence métier. Celle-ci pourra être acquise via les programmes de formation qui bénéficient d’une importance accrue (…).”
📬 Faites connaître la newsletter de Zevillage à vos amis sur WhatsApp :
Du neuf dans les déplacements domicile-travail
Un excellent article du Monde sur nos habitudes de déplacement, illustré de six graphiques. La mobilité des Français est centrée sur la voiture, y compris sur les courtes distances : 74 % des trajets domicile-travail en voiture, et 52 % pour moins de 2 kilomètres. Un enjeu pour la décarbonation des déplacements.
Vite dit
Tiens, les slasheurs reviennent dans la lumière 🌀 Le Wyoming prépare une loi visant à interdire les voitures électriques à partir de 2035 🌀 Cela peut être utile 🌀 Ici, des coups de feu mais pas de coup de fusil 🌀 Pourquoi il est grand temps de quitter les villes.
Dans le monde d’avant, les grévistes brûlaient les pneus devant le barbecue à merguez. Aujourd’hui, les syndicats se sont convertis à la mobilité. Encore un peu de temps, et ils manifesteront à distance.
Et voilà, c’est fini pour cette semaine, vous pouvez retourner dans la salle de sieste mise en place par votre entreprise 🙏 👇
Si vous avez aimé cette newsletter, laissez un petit like en cliquant sur le ❤️ en haut de page. Je saurais que vous êtes toujours là. Ou, encore mieux, laissez un commentaire, une réaction 💬. Ou, super mieux, venez parler de vos problèmes dans Discord.
Tout à fait d'accord avec tes propos qui ouvrent le champ du pouvoir vivre autrement. Sur ces mêmes sujets je te conseille de regarder sur Arte le programme "Les Idées larges", d'ailleurs je te vois bien répondre à une interview sur ce sujet.
Bien amicalement. Philippe