Et si on reparlait des jobs à la con?
Saisissez l'occasion et changez de vie pour être utile aux autres
Bienvenue dans cette édition de la newsletter de Zevillage. Comme chaque jeudi, je partage avec vous une analyse à propos de l’évolution du travail et une sélection de notre veille pour vous donner envie et vous aider à vous engager dans la transformation du travail. Et merci à ceux qui m’envoient des petites infos ou des messages de soutien 🙏 .
Xavier de Mazenod
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Les boulots inutiles qui nous font dépérir
Vous vous souvenez des “jobs à la con”, ces bullshit jobs épinglés par l’anthropologue David Graeber récemment disparu. Pour bien comprendre ce que sont ces boulots inutiles, regardez ou écoutez son interview réalisée par France culture en 2018, au moment de la sortie de son livre éponyme.
La définition de ce type des jobs inutiles est simple: un travail dont même celui qui l’exerce ne peut pas justifier l’existence. Pour David Graeber, ce phénomène toucherait 30 à 40% des emplois, déprimerait les salariés, les mènerait au burn-out et représenterait un gâchis incroyable.
Comme exemple de bullshit job, Graeber cite ce gardien de musée posté dans une salle… vide. Aucune oeuvre, aucun visiteur. Une situation absurde qu’il serait simpliste de réduire à notre système capitaliste. On se souviendra de ces babouchki, ces grands-mères soviétiques postées au pied de chaque escalator du métro de Moscou…
Il semble que ce syndrôme soit plutôt lié à la modernité, à la vision productiviste du travail et à la coupure de la relation main-cerveau. La tête dans le XXIe siècle, les pieds dans le XIXe. La rupture avec le sens et la matière si bien détaillé dans le livre L’Eloge du carburateur de Matthew Crawford, universitaire américain et réparateur de motos. Ou encore par Laetitia Vitaud dans Du labeur à l’ouvrage qui observe la désagrégation de l’emploi salarié et plaide pour un retour au travail indépendant, à l’artisanat - dans son acception d’origine -, porteur de plus de responsabilité et d’intérêt.
Ce coronavirus qui fait réfléchir
Pourquoi reparler des bullshits jobs ? Parce je viens de lire un article sur la prise de conscience de “Bon pote”, l’un de ces bullshiters qui vient de quitter son travail. Après avoir fait son mea culpa : “ Je me suis rendu compte de quelque chose : mais qui es-tu, petit branleur ? Faire des power points, des stats sur excel, c’est ça la vie? T’es capable d’animer une formation sur le trading haute fréquence, mais t’es pas foutu de savoir si un fruit est de saison ? Soyons honnêtes : je ne sais rien faire de mes mains. Lâchez-moi en forêt, je ne tiens pas 24h. Même les sangliers se foutraient de ma gueule”.
Qu’est-ce que son travail apportait à la société se demandait-il brutalement en 2020 en le comparant à l’utilité du travail des infirmières face à la Covid-19. Pas grand-chose.
Quelques semaines auparavant, j’avais lu l’aventure d’Anne-Sophie qui avait quitté son travail après 6 ans dans une SSII et 1 an dans une startup. Elle ne supportait plus “le marketing (et son jargon), les objectifs de croissance, les comités d’investissement intégralement blancs et masculins, les (dé)motivational talks de (sa) hiérarchie, les piques bêtes et méchantes sur les heures d’arrivées, les luttes incessantes sur le remote ou les outils de travail…”.
Un an après, elle s’épanouissait dans son nouveau travail d’User experience designer dans… le secteur public. Comme quoi il faut se méfier des idées reçues. La différence avec son CDI précédent ? Elle ne conçoit plus des produits numériques mais des services numériques. Tout n’est pas rose dans son travail mais elle y trouve une utilité.
Tant mieux si la crise du coronavirus nous pousse à nous poser des questions sur notre travail : le contexte met plus facilement en évidence les absurdités. Et, nous pousse, éventuellement, à en tirer des conséquences pour changer de travail et de vie.
C’est ce qu’observe aussi Elodie Sarfati, la créatrice de la plateforme de recrutement sans CV PeopleIn que nous avons interviewée dans Zevillage avec ces candidats “qui ont pris conscience de leur envie de faire des choses qui ont du sens pour eux, d’aller vraiment faire un métier intéressant. C’était déjà une réalité avant, ce besoin de sens, on a parlé d’ikigaï, de se retrouver, de faire quelque chose qui corresponde à ses valeurs, etc. Mais alors là, c’est encore plus frappant”.
Mais, auparavant, méfions-nous des modes et des postures morales. Je vous recommande chaudement l’article que Philippe Silberzahn, habitué de cette newsletter, a publié cette semaine sur la fable du bâtisseur de cathédrale. Il serait plus heureux que le simple tailleur de caillou parce qu’il construit une oeuvre qui le dépasse. Une légende urbaine ! En réalité, notre bonheur ne vient pas de l’extérieur et rien n’est simple : “Nombre de mes étudiants, écrit Silberzahn, sont partis rejoindre des ONG pleins de nobles ambitions, de belles cathédrales en construction, pour en revenir dégoûtés par ce qu’ils ont vu sur le terrain, et nous connaissons tous des cadres travaillant dans de belles entreprises à la raison d’être évangéliquement irréprochable qui pourtant ne sont pas heureux”.
Vite dit
👉 La confiance, facteur-clé de succès du télétravail. Rien à ajouter, tout est dans le titre
👉 Comment obtenir l'attention sans élever la voix, en présentiel et à distance ? C’est très vrai pour les profs dans des classes turbulentes. C’est vrai aussi en réunion, y compris sur Zoom.
👉 Une petite histoire du travail à distance (en anglais). Un angle original et décalé.
👉 Remote Worker Attractiveness : nouvelle guerre des talents à l’âge de la distance. Aux US, il y aurait désormais 27% des travailleurs à souhaiter s’installer dans une zone rurale contre 12% dans une grande ville. Et la chasse au talents est lancée.
👉 Cela te dit de télétravailler à Courchevel, ça change de Saint-Barth. Moins 40% sur le séjour mais pas donné-donné quand même.
👉 Pas de réunions, pas de délais, pas d'employés à plein temps (en anglais). Explication du créateur de Gumroad sur son organisation de travail ultra-légère qui ne l’empêche pas de réussir, au contraire.
Avant de partir
C’est fini pour cette semaine. Avant de partir, un petit aperçu du Future of Work par Philippe Gelück, dessinateur belge, papa du Chat.
Un dernier truc
Cette semaine je n’ai pas non plus de dernier truc à vous dire. Mais vous pouvez liker, laisser un commentaire ou partager cette newsletter. C’est un truc quand même, non ?
En fait, n'importe quel métier peut être épanouissant. Rien n'est inscrit en dur dans son essence. Il devient épanouissant si on est en mesure d'agir sur son environnement, son organisation, pour pouvoir l'exercer comme on l'entend.
Quant à la pyramide de Maslow (qui date quand même des années 50 !), elle reste hélas enseignée un peu partout, alors qu'elle est depuis des dizaines d'années sérieusement (et scientifiquement) remise en question. Si réellement nous travaillons d'abord pour ce que cela nous apporte à nous-mêmes (et je suis d'accord avec ce point si tant est que l'on parle aussi de l'apport psychique et non pas exclusivement matériel comme les revenus), alors nous ne sommes plus dans le système de Maslow mais plutôt dans une pyramide inversée comme le prône la psychologie positive (sur laquelle je serai aussi très critique).
Eva Illouz interrogeait récemment (2018) cette théorie de manière très pertinente (et bien documentée) dans son ouvrage "Happycratie" (page 122, édition Premier Parallèle) : « Comment expliquer que quelqu'un risque sa sécurité [2ème niveau selon Maslow] pour devenir artiste ou pour se lancer dans une nouvelle carrière ? »
Je vous invite d'ailleurs à lire cet ouvrage qui apporte un éclairage et des références très intéressantes à consulter sur ce sujet.
C'est vrai que nous travaillons d'abord pour ce que cela nous apporte à nous-mêmes. Voir la pyramide de Maslow et la hiérarchie de nos besoins.
Mais, une fois les besoins essentiels (nos revenus) atteints, la satisfaction d'être utile peut s'exprimer. Ou nous frustrer quand nous ne l'atteignons pas.
Tout le monde n'a pas la chance d'exercer un métier épanouissant...